Assistance mortelle : un film pour l’avenir

Assistance mortelle : un film pour l’avenir
Assistance mortelle : un film pour l’avenir

« Il n’y a pas de raccourci au développement. On passe inévitablement par le travail ». On entend, dans le dernier film de Raoul Peck, Assistance mortelle, ce petit conseil salutaire adressé aux décideurs haïtiens et étrangers. Mais le réalisateur a bien compris que cela s’applique aussi au cinéma. Dès qu’il a eu l’idée de faire ce film sur la problématique de l’aide au développement en général en s’appuyant sur le cas d’Haïti, il a très vite décidé d’éviter le raccourci des clichés et de l’actualité immédiate. Il s’est donné du temps. Deux ans. Deux ans d’observation du cheminement de l’aide humanitaire en Haïti après le tremblement de terre du 12 janvier 2010.

Des différentes réunions de la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) aux différentes conférences des bailleurs en passant par les plus importantes réunions entre les politiques, monsieur Peck et son équipe ont été admis au cœur des lieux où se discutait, se négociait la question de la reconstruction du pays effondré. Il filme, questionne, essaie de comprendre. Au bout de ces deux ans seulement s’attelle t-il à condenser plus de quatre cent heures d’enregistrement. Le résultat : ce long documentaire, 1h40mn, qui met à nu l’incohérence, la confusion et l’ambigüité structurelle dans lesquelles tâtonnent les acteurs de l’humanitaire et surtout, un argumentaire solide, incontestable. Lors des échanges avec les spectateurs qui ont suivi les quatre avant-premières du film en Haïti, à FOKAL, Raoul Peck a très valablement défendu ses choix et son plaidoyer pour une réorientation de l’action humanitaire, non seulement en Haïti, mais partout dans le monde.




Donner à entendre une parole haïtienne

L’un des premiers choix du réalisateur était de casser cette tradition d’entendre l’histoire d’Haïti racontée par d’autres. « C’est très important qu’on entende des voix haïtiennes parler de leur pays. Parler de leur vision, de leurs contraintes… C’est très rare qu’on voie un dirigeant africain, un dirigeant haïtien, un dirigeant asiatique, un dirigeant latino américain pouvoir publiquement critiquer l’aide internationale. Mon drame c’est que, chaque fois que je vois les images de mon pays, elles ne correspondent pas à la complexité que je connais de ce dernier. Elles ne montrent qu’une partie de la vérité. », s’est indigné monsieur Peck. « C’est pourquoi dans le film, je montre des haïtiens qui travaillent à tous les niveaux du pays. C’était important d’imprimer dans la tête des autres que ce pays aurait explosé depuis longtemps s’il n’y avait pas des fonctionnaires qui faisaient leur travail avec sérieux», et ces clichés entravent la discussion fondamentale sur l’inefficacité de l’aide au développement.

60 ans d’histoire d’intervention humanitaire, aucune ‘succes story’

Le film Assistance mortelle, loin de vouloir écraser qui que ce soit, ni quoi que ce soit, propose qu’on entame en urgence, le vrai débat sur les problèmes structurels de l’aide au développement, ce débat qu’on a passé 60 ans à éviter. « À chaque fois qu’on essaie de tenter une discussion, on vous renvoie tout de suite à la tête que vos dirigeants sont corrompus. Que votre Etat est faible. Que vous n’avez pas de capacité d’absorption etc. Quand on sait que moins de 1% de l’aide internationale passe par le gouvernement haïtien qu’on ne cesse d’accuser de corrompu, de faible, on est bien obligé de s’arrêter et de se poser les vraies questions : où est donc passé l’argent? Pourquoi après 60 ans d’histoire d’intervention humanitaire dans le monde, la communauté internationale est-elle incapable de prouver un seul succès ? Les seuls pays qui parviennent à s’en sortir, comme le Rwanda et le Vietnam, sont ceux qui ont su très tôt dire NON à l’aide humanitaire aveugle et prendre leurs destinées en main ». Il y a de plus en plus de conférences, de papiers remettant en question les procédures, les modalités et les intérêts des interventions, tout le monde s’accorde à dire que cela ne fonctionne pas. Et pourtant, cette machine continue », argumente le réalisateur.

Les organisations humanitaires violent les principes sur lesquels elles se sont elles-mêmes entendues. Le fameux « do no harm » (ne pas nuire) se trouve dans tous les statuts des organisations humanitaires. Ce principe fait obligation aux agents humanitaires de veiller à ne pas casser les économies locales, d’acheter localement, de travailler avec les gouvernements locaux, d’échanger avec les populations et surtout d’agir dans la transparence. Si et seulement si l’on respectait au moins ces points, c’aurait déjà été un très grand pas. Dans le cas d’Haïti, c’est exactement le contraire qui se passe. C’est aux multinationales, qui y trouvent une occasion d’écouler leurs stocks, que profite l’aide, au détriment de la production nationale. Aucun effort de transparence n’est consenti dans le processus de décaissement des fonds promis à Haïti. « Quand les Etat Unis annoncent deux milliards et demi de dollars pour Haïti, on ne dit pas que huit cent million va payer l’armée américaine pour dix mille soldats qu’on n’a pas demandé. Et aujourd’hui, personne ne dit que plus d’un de ces deux milliards n’a pas encore été décaissé », illustre Raoul Peck. Quand la France donne 326 millions d’euros, on ne dit pas qu’il n’y a de ces 326 millions que 150 million d’euros nouveaux. Le reste passe dans l’allégement de la dette qui est une négociation existant depuis quatre ans et n’a rien à voir directement avec la catastrophe du 12 janvier. On découvre plus d’une centaine de véhicules, donnés à Haïti, comptabilisés dans cette aide ; alors que ces véhicules n’ont plus aucune valeur comptable, puisqu’ils ont plus de cinq ans et ont été rayés de la comptabilité française.»

Le film et l’avenir

Le film Assistance mortelle aura connu un grand succès auprès du public. Sa carrière a d’ailleurs très bien commencé, l’avant-première ayant eu lieu au festival international du film de Berlin, l’un des plus grands au monde en termes de nombre de spectateurs. Le film a donc été à la portée de la presse du monde entier. « La rumeur du film circule beaucoup », confirme Raoul Peck. Tout le monde veut le voir, poursuit-il. Le plus grand vœu du réalisateur est que chacun, les ONG, les organisations internationales, s’approprie le film, enclenche dans sa structure la discussion indispensable à l’avenir de l’aide au développement dans le monde.

Source :FOKAL


La Rédaction

La Rédaction Contact : actualites@haitinews2000.com

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