L’économie haïtienne asphyxiée par l’insécurité

L’économie haïtienne asphyxiée par l’insécurité

En Haïti, l’insécurité constitue, depuis plusieurs années, l’une des plus grandes causes de l’affaiblissement de l’économie. Une économie qui est prise en otage par les gangs qui opèrent sans la moindre hésitation dans tous les coins du pays. De leurs côtés, les autorités haïtiennes ont, jusqu’à présent, des difficultés à résoudre ce fléau, qui ne date pas d’aujourd’hui. Fort de ce constat, les acteurs ou agents économiques, notamment les entrepreneurs, ont décidé de se tourner vers d’autres pays, particulièrement vers le voisin d’Haïti qui n’est autre que « la République Dominicaine ».

Depuis quelque temps, assassinats, conflits entre gangs rivaux, fusillades et kidnappings sont entre autres quotidiens de la population haïtienne, précisément à Port-au-Prince. Les quartiers populeux sont devenus le théâtre d’une guerre entre groupes armés. En effet, 226 personnes sont mortes, blessées ou portées disparues, lors des affrontements entre des gangs rivaux, qui ont été éclatés au cours de la période allant du 24 avril au 16 mai 2022, dans l’aire métropolitaine de port-au prince, notamment à Cité Soleil, à Croix-des-Bouquets et à Tabarre, indique le Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). En seulement dix jours, soit du 8 au 17 juillet 2020, près de 500 personnes ont été victimes par les bandits à Cité Soleil, selon L’Organisation des Nations Unies (ONU). Le BINUH et l’ONU  déplorent, en outre, des crimes sexuels qui ont été commis à l’encontre des filles et des femmes dans ces communes. Ces affrontements ont aussi fait fuir plusieurs milliers de résidents pour se réfugier dans des sites de fortune ou chez des proches.

À présent, le pays est totalement gangstérisé et déconnecté. Le quartier de Martissant bloque, à lui seul, 4 départements qui sont le Sud, le Sud-Est, le Nippes et la Grand-Anse. Quant aux groupes armés se trouvant à Croix-des-Bouquets, à Savien, à Ti bwadòm (Gros-morne) etc., ils paralysent,  au jour le jour, la circulation dans le Nord du pays. Face à une telle situation, les entrepreneurs sont obligés de se tourner vers la République Dominicaine. Un choix fait, majoritairement, à contre cœur mais, c’est la seule alternative afin de survivre face à l’insécurité haïtienne qui prend quotidiennement de l’ampleur. 

Protéger son entreprise, premier souci d’un entrepreneur

Carolane Dorvil est une jeune entrepreneure qui est obligée de laisser Haïti, ses amis, sa familles et ses terres pour se rendre en République dominicaine en raison de l’insécurité qui ne cesse de maltraiter la société haïtienne. Elle a, d’un même coup, décidé d’ouvrir son entreprise dénommée « Zaka Boutik » en terre voisine. Zaka Boutik est une entreprise qui se spécialise dans la production des crochets. Ainsi, avec cette technique, l’entreprise Zaka Boutik crée des vêtements, des sacs à main etc. sans oublier que les crochets servent de décoration pour l’intérieur d’une maison, tel un rideau/un napperon ou un drap, par exemple.

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« Haïti est l’un des pays où le taux de migration est très élevé à cause, en grande partie, de l’insécurité. Je constate, en outre, que la jeunesse haïtienne est en fuite ; car dès qu’un jeune trouve une opportunité, il laisse le pays avec le sentiment de ne jamais y revenir », déclare Carolane Dorvil. Or, selon elle, la jeunesse constitue l’avenir de toute société. Donc, avec une jeunesse qui finit par haïr et détester le pays et qui cherche, chaque jour, un moyen de le laisser, le changement d’Haïti, dit-elle, n’est pas pour bientôt.

« Le premier souci de tout entrepreneur, c’est la protection et l’évolution de son entreprise », persiste et signe la propriétaire de Zaka Boutik. Selon Carolane Dorvil, aucun entrepreneur ne va rester dans un pays où son entreprise est risquée ou menacée. C’est pourquoi, beaucoup d’entrepreneurs, notamment des jeunes, ont décidé de laisser Haïti pour aller investir dans d’autres pays comme le Chili, le Brésil et la République dominicaine, explique la patronne de Zaka Boutik.

Une décision à contre cœur

La population haïtienne est très intéressée aux produits faits en crochets, selon Carolane Dorvil. Donc, puisque Zaka Boutik se trouve en République Dominicaine, elle dépense beaucoup plus, surtout à cause de la dépréciation de la gourde, pour faire des commandes. En outre, pour acheter des matériels permettant la fabrication des crochets, Zaka Boutik  se trouve dans l’obligation d’acheter des produits en République Dominicaine ou d’autres pays sans oublier que l’entreprise crée des mains-d’œuvre en terre voisine ; car elle a besoin de beaucoup de bras pour fabriquer les produits.

« J’avais l’intention d’organiser des ateliers de travail en Haïti », déclare, tristement, Carolane Dorvil. Une idée qui s’envole à cause de l’insécurité qui sévit dans tous les coins de la société haïtienne. « Je suis obligée d’investir et de participer au développement économique d’un pays qui n’est pas le mien », ajoute la patronne de Zaka Boutik tout en annonçant qu’elle va agrandir son entreprise dans les mois qui viennent en République Dominicaine. « Une décision que j’ai prise à contre cœur », dit-elle.

Tous ont dit la même chose

La dégringolade ou l’effondrement que connait l’économie haïtienne, depuis plusieurs années, a laissé sans voix les économistes du pays. Ils ont tous fait savoir que l’insécurité qui règne en Haïti est l’une des plus grandes causes de cette catastrophe. Enormy Germain, professeur à l’Université, déclare qu’en Haïti, le risque-pays est très élevé. C’est pourquoi,  le désinvestissement bat ainsi son plein dans le pays.

« Les agents économiques, notamment les entrepreneurs haïtiens, laissent le pays pour aller investir ailleurs, particulièrement en République Dominicaine. Ce qui fait qu’au cours de l’année 2021, Haïti perd 235 millions de dollars américains et gagne seulement 30 millions de dollars américains. Tandis-que, la République dominicaine, de son coté, a récolté plus d’un milliard de dollars américain », ajoute l’économiste.

Haïti fait face, depuis plus de 3 ans, à une grave récession économique marquée, majoritairement, par l’insécurité. Conséquences, pas d’investissements étrangers et le taux de désinvestissement ne fait qu’augmenter. La fermeture d’Hôtel « Best Western » est l’une des preuves qui montrent, d’une façon claire, que le désinvestissement est fréquent en Haïti, selon l’économiste Enormy Germain.

De son côté, l’économiste Frantz Vilsenat  déclare qu’ « au cours de l’exercice fiscal 2021-22, des dizaines d’entrepreneurs haïtiens ont délocalisé leurs activités économiques pour investir en République Dominicaine. Au cours de cette période, ils ont investi plus de 250 millions de dollars US dans l’économie dominicaine. Ce montant désaffecté de l’économie d’Haïti représente près de 2% du PIB du pays et plus de 8% du budget de l’État Haïtien ».

Pour l’économiste, cette situation a de graves conséquences sur l’économie du pays telles que : premièrement, une augmentation du niveau de chômage expliquant par la fermeture en Haïti de ces différentes activités de ces entrepreneurs; tous les employés de ces entreprises sont probablement sans emploi en Haïti. Deuxièmement, une diminution des recettes publiques; puisque ces entrepreneurs ont délocalisé totalement leurs activités pour installer en République Dominicaine. Enfin, une baisse de la production locale.

« Le pays est sur sa quatrième année de contraction économique avec des taux de croissance de : -1.7% ; -3.3% ; -1.8%  et de -0,4% respectivement pour les années fiscales 2018-19, 2019-20, 2020-21 et 2021-22 », ajoute Frantz Vilsenat. Cette baisse de la production entraîne, selon lui, une flambée des prix sur le marché haïtien. En effet, en juin 2022, les prix des biens et services ont augmenté en moyenne de plus de 29% par rapport à juin 2021, selon des données de l’Institut Haïtien de Statistique et de l’Informatique (IHSI). Le professeur d’université souligne aussi que, d’après les dernières estimations de la Banque Mondiale (BM), Haïti a connu, en 2021, un taux de pauvreté de 52.3% contre 51 en 2020, soient des haïtiens vivant en dessous du seuil de la pauvreté avec moins de 3.2us/jour.

Dans son dernier rapport  sur l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) a observé qu’en juin 2022, l’inflation mensuelle était de 2.2%% contre 1.9% le mois précédent. Un constat qui montre que l’inflation ne fait que maintenir son rythme ascensionnel dans le pays. Donc,  dans une économie où l’insécurité oblige des entreprises à fermer leurs portes ou à fonctionner au ralenti, les biens et services que vendaient ces entreprises vont, systématiquement, devenir rares. Et quand il y a rareté d’un produit, son prix augmente automatiquement. C’est ce qui explique « la loi de l’offre et de la demande ». | Nathan SAINT-ANGE


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