Campagne présidentielle : les mauvaises recettes face aux bonnes pratiques de la modernité

Campagne présidentielle : les mauvaises recettes face aux bonnes pratiques de la modernité
Photo : RFI.fr

On ne devient pas Chef d’état par hasard. On ne remporte pas un scrutin par mégarde. Gagner une élection, quelle qu’elle soit, est toujours le résultat d’un plan stratégique mené par une équipe solide, constituée de professionnels du domaine politique et de la communication.

Nous comptons aujourd’hui cinquante cinq candidats à la présidence dont certains sont apparemment plus présidentiables que d’autres, que ce soit par leur parcours, leurs engagements ou leur notoriété. Malgré ces avantages, aucun des candidats les plus populaires ne sera en mesure de totaliser 20% au premier tour. La raison : les leaders qui sont présentement les plus populaires souffrent d’un manque de légitimité. Ils ont plus de renommé que de partisans, alors que le jeu, sur l’arène politique, se joue avec des partisans et les militants et non de simples appréciations populaires ou médiatiques qui peuvent changer au jeu des circonstances. De là étant, la majeure partie de ces leaders connus sont plus ministrables que présidentiables.

Fort de ce constat, rien n’est donc gagné d’avance. Tout est possible. Les candidats sont presque tous égaux. L’effet Martelly pourrait alors se reproduire, en ce sens qu’un néophyte refasse surprise. A ce niveau, j’en déduis que tout va se jouer entre les méthodes qui seront utilisées par les candidats et leurs équipes pour administrer leurs campagnes, du choix qu’ils auront à faire. Opteront-ils pour les mauvaises recettes qui sont l’apanage des politiciens traditionnels ou feront-ils le choix des méthodes modernes de gestion de campagne ?

Les mauvaises pratiques électorales haïtiennes

Les élections, durant les vingt dernières années en Haïti, ont été l’objet de travestissement des normes électorales que ce soit par les autorités en place ou la plus forte partie de nos politiciens. Ce qui a caractérisé les élections, de 2000 à nos jours, c’est le « hold up ». Les partis qui ne sont pas au pouvoir se voient distribués quelques vétilles, alors que le camp au pouvoir s’attribue la part léonine. Pour se faire, la formule est de faire usage de la violence, sous forme publique (en utilisant les forces publiques à leurs intérêts électoraux) et civile (en armant leurs partisans) pour empêcher aux adversaires de voter, pour quant à eux, procéder aux bourrages d’urnes.

Un autre élément encore, caractérise les vielles pratiques : stratégie d’élimination de centres de votes. Cette strategie le plus souvent se concrétise avec la complicité des autorités judiciaires et des Bureaux électoraux (BEC et BED).

Depuis pratiquement 2010, avec le Conseil qui a été présidé  par Gaillot Dorsainvil, une autre pratique sévit : beaucoup de candidats pensent – et c’est grave ! – que les élections ne gagnent pas mais s’achètent. Ce qui fait de l’élection une affaire aberrante, de laquelle font fi les honnêtes et paisibles citoyens. Ces pratiques ont causé énormément de tords à notre société, en témoigne la baisse considérable du taux de participation citoyenne aux urnes.

Comment expliquer par exemple, malgré que nous ayons plus de candidats, la population vote encore moins. Au premier tour des récentes législatives (2015) pour 1,515 candidats (députés et sénateurs) officiellement agréés, nous n’avons même pas enregistré 350.000 votants sur un registre de 5, 835,295 électeurs. Ce que l’AFP a appelé « une abstention massive ». Car à bien contrôler, cela fait une moyenne maximale de 263 voix par député et 1881 voix par sénateur.

Les exigences d’une campagne électorale moderne

Contrairement aux vieilles recettes qui ne contribuent pas à l’avancement de la démocratie, mais qui au contraire nous conduit continuellement dans l’instabilité politique qui est un frein majeur au développement économique du pays, les bonnes pratiques de la modernité électorale quant à elles, nous offrent d’autres avantages, non seulement réputés pour leur efficacité et leur scientificité. De façon générale, je vais essayer de partager succinctement quatre éléments qui, suivant les satisfactions qu’ils ont déjà offertes à de nombreux hommes et femmes politiques à travers le monde, pourront également aider à nos candidats de faire la différence et de maximiser leur chance par rapport à ceux qui restent encore viscéralement attachés aux vieilles et mauvaises recettes.

  1. Avoir une équipe de campagne standard

L’équipe de campagne est l’organe qui regroupe à la fois les techniciens, les proches et alliés du candidat. Si autrefois, il était recommandé aux candidats de se faire entourer de ses amis pour éviter les infiltrations, il faut dire que ce discours est aujourd’hui dépassé. Une équipe de campagne standard regroupe des professionnels, parmi lesquels peuvent se retrouver des proches, dans la mesure où ces derniers détiennent les compétences nécessaires. Les directives dans l’Equipe de campagne sont données par le Directeur de campagne qui assure la gestion technique à partir d’un document stratégique communément appelé « Plan de campagne ».

  1. Gérer professionnellement l’image du candidat

Aujourd’hui, il ne suffit pas seulement pour un candidat d’avoir un bon programme, il lui faut surtout avoir une bonne image. Ce n’est pas trop ce que le candidat veut qui importe, mais ce qu’il inspire. Car les gens doivent le sentir, ils doivent être attirés par lui. Ils doivent l’aimer et le candidat doit les séduire. Ce travail est l’affaire de professionnels du domaine politique et de la communication pour éviter en même temps, par faute d’excès que le candidat soit victime du « syndrome d’Ottinger ».

  1. Gérer la campagne à partir d’un logiciel

La meilleure façon de gérer efficacement sa campagne est de le faire à partir d’un logiciel de campagne qui peut être soit acheté, mais le meilleur des cas serait d’en faire fabriquer expressément un. Voyons quelques expériences déjà faites à ce niveau.

Barack Obama par exemple, lors de sa campagne en 2008 a fait usage d’un logiciel baptisé « Catalist ». Cet outil lui a permis de contrôler 1.2 millions de militants de sa campagne, collecté 1.3 millions de téléphones mobiles et 13 millions d’emails et surtout gérer des fichiers personnels pour environ 220 millions d’Américains avec jusqu’à 600 informations par personne.

L’expérience a été reprise en France avec trois jeunes qui avaient pris part à la campagne de Barack Obama en créant pour le compte du Parti Socialiste un logiciel qu’ils appelé 50+1, qui a permis à François Hollande de faire la différence sur Nicolas Sarkozy en 2012.

  1. Investir dans le Webmarketing

Il est quasiment suicidaire aujourd’hui qu’un candidat à la présidence néglige le Webmarketing. Nous somme à l’ère de la « génération Y ». Le Web est actuellement un lieu sûr où se retrouver une bonne partie des électeurs. Quand on tient compte des efforts qui ont été effectués ces dernières années pour démocratiser l’internet, on peut dire que le candidat qui n’en profite pas et dont l’e-réputation n’est pas gérée professionnellement, subira les conséquences. L’unique inconvénient c’est peut-être le coût qui fort souvent est élevé que cela exige. L’exemple nous vient clairement encore de Barack Obama qui, lors de sa campagne en 2008, a dépensé 16 millions de dollars dans le webmarketing contre 3.8 millions pour son adversaire John McCain. Nous verrons encore la différence dans la campagne présidentielle de 2010 avec Michel Joseph Martelly qui a mené une campagne 2.0 standard, ce qui lui a permis d’être mieux et bien plus vendu que son adversaire Mirlande Manigat.

Une modernité qui renforce la démocratie

Il est grand temps pour nos candidats à la présidence d’opter pour la modernité dans la gestion de leur campagne. Jusqu’à aujourd’hui encore, plus de 80% de nos candidats effectuent des dépenses sans qu’ils soient réellement en mesure d’évaluer l’impact réel de ces investissements. Raison : ils ne disposent d’aucun outil, après un meeting important, une interview phare, des alliances etc. pouvant leur permettre de mesurer leurs impacts. Ils évoluent presque tous et toutes dans la plus parfaite illusion. Ils se font rançonner par des abolotchos qui leur font voir monts et merveilles sous prétextes qu’ils contrôlent telle commune, tel département ou qu’ils ont une organisation qui disposent de plusieurs dizaines de milliers de membres. Il existe aujourd’hui des outils techniques qui peuvent aider à évaluer le travail des militants (es) et des  délégués (es) sur le terrain, qu’on peut contrôler à partir d’un ordinateur.

Gérer une campagne électorale de cette manière sera non seulement un gain pour la démocratie – en ce sens qu’il y aura moins de violences, moins de fraudes, mais il contribuera également, à augmenter le taux de participation citoyenne aux élections. Ce qui donnerait plus de légitimé à nos élus.

Roudy Stanley PENN

PDG  de PoliticoTech Consulting

Politologue | Membre de l’IAPC

Contact : pennros@gmail.com


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