Marbial, parmi les oubliés…
Par Joel Pierre —- La modernité, plus particulièrement la mondialisation, est caractérisée par des divisions du travail. On peut citer à juste titre la division internationale du travail, la division du travail manuel et celle du travail intellectuel, la division entre la ville et la campagne, entre la capitale et la province pour ne citer que celles-là.
Tout cela s’effectue dans le cadre d’un système de classe, conformément au maintien du rapport de production existant. Au paroxysme de cet ordre stratifié, nous assistons à une exploitation outragée des provinces, et de la campagne pour être plus précis. Comment en sommes-nous arrivés à ce stade d’organisation sociale et territoriale ? Cette interrogation peut faire l’objet d’une grande réflexion dans un article ultérieur. Ce qui nous intéresse à présent c’est Marbial, un quartier d’Haïti, pour illustrer notre petite analyse, ou encore pour élucider les mépris de notre système vis-à-vis de certains espaces géographiques dans le pays.
Marbial est un quartier très vaste situé à environ 18 kilomètres au Nord de la commune de Jacmel dans le département du Sud-est en Haïti, soit une superficie de 172.5 kilomètres carrés. Cette région est constituée de mornes séparés par des rivières telles que la rivière La gosseline et ses tributaires, les rivières Fond-Melon et de Cochon-Gras; ces trois rivières constituent l’un des principaux problèmes de cette zone, surtout en saison pluvieuse. Lorsque ces rivières sont en crue, Marbial est coupé du reste du monde. Pourtant ces rivières pourraient être utilisées au bénéfice de la région. Les lits de ces rivières occupent des bas-fonds qui constituent une vallée complexe où les gens dressent leurs maisons accrochées aux pieds ou aux flancs des mornes. Si l’on prend en compte les données statistiques de l’année 2009 de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), la population de la vallée de Marbial est estimée à 27.736 habitants, majoritairement composée de jeunes.
Cependant, ces chiffres sont controversés et les données, contradictoires. A ce propos, la campagne est tout-à-fait le laboratoire d’enquêtes-bidons et pour ainsi dire d’expériences dont l’échec est déjà consommé. Il faut citer à titre d’exemple des institutions qui n’y existent que pour exister, qui assurent le rôle de maquillage et de saupoudrage. En 2018, on ne peut pas s’enorgueillir d’affirmer que toute la population haïtienne est munie d’un acte de naissance, a accès a l’eau potable et a l’électricité. Le pire, tous ces besoins-là ne sont que des rêves, pas même des projets dans notre société de rente. Les oubliés ou les ignorés ?
Par ailleurs, Marbial est très connu dans le Sud-Est pour son importance dans la production de denrées agricoles. Les habitants de cette communauté vivent essentiellement de l’agriculture, et la graisse du porc est l’ingrédient majeur de la cuisine Marbialaise. Les marchés, si bien connus sous le nom de marché de Cochon-gras et marché de Lagosseline, de nombreux d’animaux transportant toutes sortes de choses, qui envahissent les routes tous les jours de marché, soient mardi et samedi (marché cochon-gras), vendredi (marché Lagosseline). Autrefois, avant le passage du cyclone dévastateur Gordon en 1994, Marbial était considéré comme l’un des principaux greniers et la source alimentaire du département du Sud-Est, grand producteur de café et de vivres alimentaires de toutes sortes. Haricot, pois, maïs, igname, patate, choux, banane et l’avocat sont, entre autres, ses principales productions.
Toutefois, en dépit de ses grandes potentialités agricoles, Marbial est confronté à de sérieux problèmes qui l’empêchent de se développer en raison de la dégradation de l’environnement. C’est une section communale à haut risque d’inondation, ses monts sont dégradés, les paysans pratiquent l’abattage des arbres pour la fabrication du charbon de bois, car c’est l’un des exigus recours possibles pour subvenir aux besoins de leur famille, selon plusieurs notables de cette région. Ces derniers faisant appel à une prise de conscience collective pour la sauvegarde de cette section communale et demandent au Ministère de l’Environnement de prendre en compte ses problèmes environnementaux afin de réduire la vulnérabilité de cette zone.
En outre, Marbial réunit cinq sections communales (Fond-Melon, Marbial, Lagosseline, Cochon-Gras, Grande-Rivière). Il faut noter la différence entre Marbial “le Quartier”, et Marbial “la Section Communale”; la dernière faisant partie du premier (*). Cette vallée est connue aussi comme le fief de la peinture du Sud-Est. La majorité des artistes dans le domaine de la peinture du Sud-Est proviennent de Marbial. À Marbial on trouve un tribunal de paix, un centre de santé sous équipé, un sous-commissariat, et plusieurs Eglises notamment Catholique et Protestante.
La pseudo-modernité des grandes villes n’arrivent pas à influencer en profondeur le quotidien de la population de cette zone qui reste fidèle à l’Haïti d’autrefois. Les Marbialais restent attachés à leurs coutumes, et ils sont connus pour être chaleureux, amicaux, hospitaliers et solidaires. Dans la vie de tous les jours, ils peuvent s’adresser les uns aux autres en s’appelant “frère”, “sœur”, “tante”, “oncle”, même s’ils se voient pour la première fois, et le fait de ne pas saluer un ainé croisé sur son chemin n’est pas dans leur habitus et peut être même considéré comme un manque d’égard. Les paysans se coiffent habituellement de chapeau en pailles, marchent très souvent avec leur machette à la main. Ils pratiquent la coumbite pour cultiver leur jardin et font de leur terre natale un point essentiel de leur identité de citoyens haïtiens. Voilà le genre de spectacles qu’offre Marbial!
Mais malheureusement, L’accès à Marbial, jusqu’aujourd’hui, se révèle un véritable défi. Pour y arriver, il faut longer le lit de la rivière Lagosseline qu’il faut traverser plus d’une dizaine de fois. Que ce soit à pied, sur le dos d’un âne, à moto ou en véhicule tout terrain, seuls les plus risqués ou les plus farouches des voyageurs osent affronter la rage de Lagosseline en crue, et l’impraticabilité de la route pendant les saisons pluvieuses. C’est pourquoi beaucoup de citoyens se montrent très perplexes quant à l’avenir du quartier de Marbial. En substance, si aucune intervention n’est faite par les instances concernées, l’avenir là-bas sera « mabyal » pour citer une expression prémonitoire dans le paysage culturel et symbolique haïtien traduisant ce qui fonctionne mal et maboul. Par rapport à la vulnérabilité de cette zone, les gens se demandent si Marbial, étant parmi les oubliés, n’est pas au seuil de disparition.
(*)Un quartier est un ensemble de sections communales sans être pour autant dans le rang de commune
Photo : Une vue du paysage de Marbial.
La Rédaction
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