A Bruxelles : De Midi à Haïti et de Haïti à Minuit

A Bruxelles : De Midi à Haïti et de Haïti à Minuit

Les Midis de la Poésie ont organisé le jeudi 31 janvier dernier à Bruxelles un premier événement d’envergure autour de la poésie haïtienne dans tous ses états dans le cadre du Focus Haïti organisé par le Théâtre National Wallonie-Bruxelles, et en collaboration avec le Festival Quatre Chemins, FOKAL, le Kolektif 2D, le CEC et l’appui de Wallonie Bruxelles International et FOKAL. De Midi à Minwi, le public a pu découvrir les mots, les sons et les images de nombreux artistes haïtiens et de la diaspora, mais aussi les réalisations d’artistes belges impliqués dans des projets de création et de compagnonnage en Haïti.


Des peuples et des morts

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L’événement s’est ouvert avec une salle comble et un « Midi de la Poésie » sous la forme d’une conversation entre Lyonel Trouillot et Laurent Gaudé autour de leur rapport à la poésie et de la poésie au monde, mais aussi à la poésie comme celle qui nous ouvre à l’univers de l’Autre. Intitulée « Des peuples et des morts », elle fut animée par le journaliste Pascal Claude.

Haïti-Vidéos-Poèmes

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Le public a ensuite pu découvrir une sélection de films courts, poétiques, expérimentaux, sensoriels, réalisés par des créateurs contemporains d’Haïti, de la diaspora et de la Caraïbe. La séance a débuté par le film Nocturne de la vidéaste Portoricaine Beatriz Santiago Munoz, venue en Haïti à l’invitation du Festival Quatre Chemins. Création performative improvisée, ce film débute par la juxtaposition du Créole et du Français, analysant comment un même texte est délivré et performé dans les deux langues. Les histoires qui suivent sont un exercice de poiétique par des conteurs qui sollicitent les histoires de mondes inventés en exposant la confrontation de différents systèmes de pensées. 

Les spectateurs ont ensuite pu apprécier le très beau film de la réalisatrice haitiano-américaine Stefani Saintonge, Fucked like a star. Filmé en Haïti, ce court-métrage est une méditation poétique qui évoque le travail des femmes et la vie rêvée des fourmis au fil des mots de Toni Morrison. 

Le film d’Adler Pierre, jeune vidéaste talentueux lié au collectif Atis Rezistans et à la Ghetto Biennale à Port-au-Prince, intitulé Bord’Elle, soulignait ensuite « la corruption et l’injustice qui règnent en Haïti et dont sont responsables les dirigeants et principalement les politiciens qu’on appele politichiens », selon l’auteur. Avec la participation du comédien-slameur Mackenson Bijoux, cette vidéo-art hypnotique superpose les images de plages paradisiaques, de cimetière et de marchés dans lesquels s’enfoncent les passants pour y disparaître.

Inspiré par le recueil de récits Écorchées vivantes dirigé par Martine Fidèle et préfacé par Yanick Lahens, le court-métrage du même nom réalisé par Éléonore Coyette plongeait ensuite au cœur des cris et des silences écorchés et poétiques de la condition des femmes en Haïti, incarnés par Anyès Noël, Sachernka Anacassis, Ife Day, Jenny Cadet et Darline Gilles. 

The Black Box, documentaire créatif du cinéaste et hypnotiseur haïtiano-américain Michelange Quay explorait ensuite la question du trauma transgénérationnel de l’esclavage, du malaise de la civilisation moderne à travers le cinéma et l’hypnose. Invitant à la fois les acteurs et le public à un voyage vers l’intérieur, il tente d’utiliser l’acte de regarder, l’acte d’écouter, l’acte de comprendre, pour se connecter à l’Ancêtre.

La séance s’est cloturée par la projection du film de Maksaens Denis et Guy Régis Jr, Mr le Président. Sur fond de poster éléctoral et au fil d’un adresse politique incantatoire dite par Guy Regis Jr, le Président toujours en campagne se défigure pour mettre à nu la nature de ses intentions.


Jusqu’à ce qu’il fasse jour

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Le public a ensuite pu écouter le documentaire radiophonique de Caroline Berliner, « Jusqu’à ce qu’il fasse jour », assis dans les gradins ou couchés sur la scène, tel que le Festival Quatre Chemins l’avait proposé à FOKAL en 2017. A l’aube du Festival Quatre Chemins, en décembre 2014, Caroline Berliner avait suivi la déambulation sur le territoire de la capitale de trois jeunes créateurs qui s’apprêtaient à livrer leurs travaux au sein d’une ville toujours meurtrie par le séisme de 2010. Tissées au cours de la temporalité d’une journée et des sons qui la rythment (signés Felix Blume) dans un documentaire radiophonique de création, les voix de ces trois artistes traquent les coïncidences entre fiction et réalité, parcours intime et histoire collective, nécessité artistique et engagement citoyen.

Lectures

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Une séance de lectures a ensuite pris le relais réunissant Guy Régis Junior, Renette Désir, Makenzy Orcel, James Noël, Caroline Berliner, Jean Damérique, Léonard Jean-Baptiste et Néhémy Pierre Dahomey qui ont proposé au public des extraits de leur textes. Le temps s’est alors fait trop court pour maintenir la table-ronde sur les écritures contemporaines, mais on retiendra ces lectures aux voix fortes, poétiques, souvent lumineuses, singulières et précises, les interludes remarquables de Renette Désir sur des textes de Guy Régis Junior, Inema Jeudy et James Noël, et le texte électrique de ce dernier sur le Brexit qui aura cloturé cette séance de lectures en  apothéose et en duo avec Renette Désir au rythme de « London ! » criés d’un désir profond se teintant d’ironie.

Expositions

Une visite guidée de l’exposition Frontière(s) du Kolektif 2 dimansyon s’est ensuite déroulée dans le hall du Théâtre National, menée par Pierre Michel Jean, photographe membre du collectif, et de Chiqui Garcia, graphiste qui a accompagné la conception de la revue « Fotopaklè » de K2D. Pour l’expositionFrontière(s), le collectif haïtien a décidé de poser un regard lucide sur l’espace frontalier haïtiano-dominicain et son histoire douloureuse. Suite à la crise migratoire de 2015 et aux expulsions qui ont suivi, le paysage de la zone frontalière a été redessiné. La bataille commerciale s’y est accrue. Des camps de rapatriés aux conditions de vie infâmes ont vu le jour. L’exposition traite exclusivement des relations haïtiano-dominicaines, des activités frontalières et du quotidien tumultueux des rapatriés haïtiens livrés à eux-mêmes entre 2015-2016. Les photographes dont les travaux sont présentés dans l’exposition sont Yves Osner Dorvil, Georges Harry Rouzier, Jean Marc Hervé Abelard, Jeho Nephtey Abraham, Pierre Michel Jean et Valérie Baeriswyl.

La vidéo de Pierre Michel Jean « L’Oubli pour mensonge », réalisée dans le cadre de la résidence de l’Association Quatre Chemins, faisait également partie de l’exposition. En juin 2015, la fin du Plan National de Régularisation des Étrangers (PNRE) en République dominicaine et l’anti-haïtianisme qui a entouré sa mise en œuvre a décomplexé une certaine parole. Les allusions à une éventuelle solution finale comme lors du génocide de 1937 ont choqué les consciences humaines. Pour conjurer ce présent morbide et raviver les mémoires, ce court métrage est une série de témoignages de vies brisées voilà près d’un siècle. Des enfants de jadis, marqués par la mort, aujourd’hui vieux, qui s’éteignent un à un dans le silence des bourreaux.

 En bas la ville

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Alors que l’exposition du photographe belge Gaël Turine, présentée en novembre 2018 au Centre d’art à Port-au-Prince dans le cadre du Festival Quatre Chemins, était proposée au public de ce Focus Haïti dans le hall du théâtre national, une projection des photos issues du livre sur le bas de la vile de Port-au-Prince, En bas la ville, accompagnée des sons de Caroline Berliner et de Felix Blume, mais aussi des mots de l’écrivain et poète Laurent Gaudé creusait un peu plus les points d’intersection de la poésie et de la photographie. Hybridation entre littérature et photographie, cette déambulation visuelle et sonore nous guide dans le quotidien des habitants de Port-au-Prince.

Cette journée inédite s’est cloturée par un concert du duo DÉSIR-FIORINI qui réunit la chanteuse haitienne Renette Désir et le pianiste belge Fabian Fiorini. Un concert magnifique qui donne un aperçu d’un album qui ne l’est pas moins : un répertoire traditionnel arrangé avec tact, une chanteuse forte, époustouflante, que nous aurons la chance de continuer à voir évoluer sur les scènes haitiennes très prochainement.

Le public, présent tout au long de la journée, a également pu acheter des livres au sein de la librairie Candide présente pour l’occasion, où simplement s’assoeir et plonger dans les mots des auteur(e)s haitien.ne.s grâce à la bibilothèque du CEC. 

Source : Fokal.org



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