La Cour des comptes dénonce « des intimidations et des menaces ouvertes » et fait la leçon à l’Exécutif
Le Conseil de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) se garde, par principe, de prendre des positions publiques sur des faits d’actualité relatifs à des dossiers technico-légaux qu’il traite et auxquels il est indument imputé par des intéressés une coloration politique.
Cependant, les dernières déclarations publiques des plus hautes autorités du pays au cours d’une activité au Palais national, dénommée « Dyalòg Kominotè », le dimanche 6 septembre 2020, étant susceptibles de causer préjudice à l’intégrité physique, morale et professionnelle de ses personnels incluant les membres du Conseil, obligent l’institution à sortir des réserves que lui impose son statut de double juridiction financière et administrative aux fins d’éclairer la population haïtienne sur les confusions et inexactitudes diverses et variées les entourant.
Depuis l’exercice 2013-2014, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif s’est présentée à la population dans sa vraie nature d’institution de contrôle des finances publiques. Elle s’est attelée à produire des rapports sur tous les pans de fonctionnement de l’Administration publique nationale et à formuler des recommandations, pour la majorité non suivies à ce jour d’effets, aux autorités en vue du redressement des faiblesses constatées. Ses avis reflètent en ce sens son souci constant d’imposer le règne de la loi dans le fonctionnement de l’Administration.
Au fait, dans une dynamique de la dématérialisation progressive du système opératoire de la Cour, les produits de ses travaux commencent à être rendus disponibles et accessibles, pour consultations, sur son site web : www.cscca.gouv.ht.
Jusqu’ici, seuls des personnalités et des groupes politiquement motivés semblent ne pas apprécier ce tournant décisif important bien favorablement accueilli par les membres de la population qui espèrent impatiemment voir une meilleure gestion des finances publiques nationales que seul l’exercice rigoureux de la fonction de contrôle peut garantir.
C’est dans ce contexte que le pouvoir exécutif, par les voix des plus hautes Autorités de l’État, a, d’une part, tenu des commentaires erronés sur les travaux de la Cour et, d’autre part, dangereusement ciblé les membres du Conseil comme étant responsables de leurs manquements flagrants à remplir leurs missions avec diligence, compétence et efficacité. Alors, ces autorités s’enlisent inconsidérément dans des démarches et des déclarations équivoques qui frisent l’intimidation, voire représentent des menaces ouvertes.
Pour l’histoire et pour la vérité, et notamment dans la perspective de l’édification de l’opinion publique, le Conseil de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) se fait le devoir d’apporter des éclairages pertinents et opportuns à la société haïtienne, à un moment où des informations manipulatoires se diffusent à travers des médias modernes et traditionnels nationaux, sur les fondements légaux de ses interventions techniques en tant qu’organe de contrôle des actes de gestion financière de l’Administration d’État et de celle des collectivités territoriales. En fait, la Constitution et les autres instruments légaux de la République reconnaissent à la Cour un ensemble d’attributions qu’elle exerce avec impartialité, objectivité, transparence et intégrité. Ainsi, la Constitution dispose en ses articles :
200 que « La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Elle est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’État, de la vérification de la comptabilité des Entreprises de l’État ainsi que de celles des collectivités territoriales ».
200-4 que « La Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif participe à l’élaboration du Budget et est consultée sur toutes les questions relatives à la législation sur les Finances Publiques et sur tous les Projets de Contrats, Accords et Conventions à caractère financier et commercial auxquels l’État est partie. Elle a le droit de réaliser les audits dans toutes administrations publiques ».
Et lesquelles attributions sont, entre autres, précisées et clarifiées dans les dispositions du décret du 23 novembre 2005 établissant son organisation et son fonctionnement s’énonçant comme suit:
Article 2 : « La CSCCA est une institution indépendante qui a pour mission de juger les actes de l’Administration publique, les comptes des Ordonnateurs et Comptables de deniers publics et d’assister le Parlement et l’Exécutif dans le contrôle de l’exécution des lois et dispositions règlementaires concernant le budget et la comptabilité publique ».
Article 5 -3 : « La CSCCA a pour attributions de donner son avis motivé sur tous les projets de contrats, accords et conventions à caractère financier, commercial ou industriel auxquels l’État est partie ».
En effet, dans le cadre de l’accomplissement de ces attributions constitutionnelles, légales et règlementaires, la Cour exerce un contrôle a priori sur les projets de contrats qui lui sont soumis par les entités publiques. Le législateur a institué ce contrôle de nature préventive pour éviter le recours à des mesures correctives trop coûteuses ou la constatation a posteriori de dégâts irréparables.
Ces derniers temps, certains avis de conformité défavorables que la Cour a émis sur les projets de contrats soumis par le pouvoir exécutif se trouvent, au premier rang, à la base des désinformations, allégations calomnieuses et déclarations menaçantes dont sont l’objet à répétition les membres de l’institution.
Pour l’histoire et pour la vérité et pour permettre à la population, dont la Cour est appelée à servir les intérêts supérieurs, de mieux comprendre la réalité entourant de telles démarches, elle se fait le devoir, d’un côté, de relever quelques éléments de ses derniers avis sur deux projets ressassés au cours de l’émission du dimanche 6 septembre 2020 qui ont valu à ses personnels d’être traités, par retournement, d’ignorants, d’incompétents et, de l’autre, de faire le point sur un troisième dont elle a pris connaissance ce même dimanche 6 septembre :
1. Le projet de contrat relatif à la construction de la centrale électrique à double combustible (diesel et gaz naturel) de 55,5 MW dans la commune de Carrefour.
Ce projet a reçu un avis défavorable pour divers motifs. La Cour en retient simplement deux ici :
L’article 2.4 de ce projet précise que : « … Dans le cas où la date de signature du Contrat n’adviendrait pas avant la date d’expiration de l’Offre négociée du 29 avril 2020 (soit 90 jours à compter du 29 avril), le Contrat sera donc nul et non avenu, à moins d’un accord mutuel écrit entre les Parties, lequel pourra éventuellement s’accompagner d’une modification des conditions de l’Offre du 29 avril 2020, prix et/ou calendrier ».
Ce projet de contrat ayant été soumis à la Cour, pour avis de conformité, le 6 août 2020 en violation de ses propres termes, soit en cumulant quatre-vingt-dix-neuf (99) jours à partir de la date de départ et sans l’accord mutuel écrit entre les parties, c’est donc un document frappé de nullité qui a été présenté à la CSCCA pour avis.
En dépit de la gravité du vice relevé à l’article 2.4 qui aurait pu à lui seul fonder le rejet du projet et dans le but de permettre à l’Etat d’adresser d’un coup toutes ses préoccupations, la Cour a quand même analysé globalement le projet à elle soumis. En quoi la Cour est-elle responsable de l’invalidité de ce projet de contrat ? Où sont les actes de blocage ? Qui bloque qui ou qui bloque quoi ?
Justement, une des missions de la Cour est de prévenir l’engagement de l’Etat dans un acte inexistant.
2. Plusieurs sections du projet de contrat d’électricité en question ont entièrement été écrites en anglais, une langue que les agents publics appelés à en assurer le suivi et le contrôle ne sont pas obligés de maitriser. Ce qui justifie le bien-fondé des dispositions de l’article 6 du décret du 10 février 1967 sur la légalisation des pièces administratives et judiciaires et de l’article 46 de la loi du 10 juin 2009 sur les marchés publics qui exigent la traduction par un expert assermenté des documents rédigés dans une langue autre que les langues officielles de la République d’Haïti. Une telle violation de cette disposition légale ne constitue-t-elle pas entre autres une cause de non-conformité de ce projet de contrat ? Serait-il demandé à la Cour de violer les lois de la République ?
3. En ce qui concerne les vingt-neuf (29) projets de contrat passés entre l’État et des entreprises locales pour l’achat de masques de protection contre la Covid-19 :
Il est prévu dans tous ces projets de contrat une clause d’exemption de tous droits et taxes. De ce fait, aucune disposition n’a été prévue pour le prélèvement de l’acompte de 2% au profit de l’État. Or, la Constitution, en son article 219, dispose qu’« Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Aucune exception, aucune augmentation, diminution ou suppression d’impôt ne peut être établie que par la Loi ».
De plus, au regard de l’article 84 de la loi du 4 mai 2016 remplaçant le décret du 16 février 2005 sur le processus d’élaboration et d’exécution des lois de finances, la Cour « est chargée du contrôle des opérations de collecte de fonds publics à titre d’impôts, droits et taxes et de recouvrement de ressources des autres sources de revenu de l’État. Elle vérifie leur conformité aux lois en vigueur et statue sur les éventuels abus, favoritismes ou avantages personnels qu’elles aient pu engendrer ». En pareille situation, une telle exemption informelle d’impôt est illégale.
Par ailleurs, il a été relaté dans cette même émission du 6 septembre 2020 que la Cour a bloqué le projet de contrat de construction d’un pont sur la rivière des Anglais, dans le département du Sud, alors qu’en réalité les documents de ce projet de contrat ne lui sont pas encore soumis pour avis conformément à la loi. Que cache cette déclaration à la société ?
Ces éléments probants sur les projets de contrats publics montrent clairement le niveau d’inexactitude, d’équivocité ou de confusion dans les déclarations du pouvoir exécutif à l’encontre des opérations de contrôle rigoureux, transparent et objectif de la Cour dans le cadre de ses attributions constitutionnelles et légales.
En fin de compte, ce qui paraît le plus étonnant et confus dans les déclarations et ressassements incorrects, à l’émission du dimanche 6 septembre courant, des membres de l’Exécutif est qu’aucun d’entre eux n’a pu identifier le texte légal régissant le fonctionnement de la Cour qui est le « Décret du 23 novembre 2005 établissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (Le Moniteur no 24, Vendredi 10 mars 2006) ».
Le Conseil de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif réitère aux membres de la population et à ses justiciables en quête de transparence et de justice administrative, sa ferme détermination à respecter scrupuleusement les prescrits de la Constitution et d’autres instruments légaux et règlementaires en vigueur sur les finances publiques. Il se résout à poursuivre sa mission de contrôle pour la bonne gouvernance financière et administrative du pays. Se faisant, la Cour ne saurait se constituer en une entité de blocage des projets de développement au profit de la population haïtienne.
Me Rogavil BOISGUENE
Président du Conseil
La Rédaction
Contact : actualites@haitinews2000.com
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