Les animaux domestiques serviteurs de la peste

Les animaux domestiques serviteurs de la peste

Par Garaudy Laguerre —- On peut décider, soit par dégoût, désespoir, accablement ou démoralisation, de ne plus parler politique, de ne plus se prononcer publiquement sur les affaires de la nation. Cela pourrait être compréhensible, mais il existe des silences qui deviennent de la complicité passive.

Cette complicité contribue d’autant plus à tuer une nation, que ceux qui s’en rendent coupables pourraient bien se voir réserver une place particulière en enfer. Si l’enfer n’est pas déjà ce que nous vivons en Haïti, c’est précisément à cause de nos silences et de nos complicités passés.

C’est ce qui me pousse à partager ces quelques réflexions sur nos paradoxes, sans pour autant faire de grands discours, comme dirait Aragon*, ici et « là-bas où le destin de notre siècle saigne».

Mais ce n’est pas seulement notre destin qui saigne. C’est aussi notre humanité qui est sans cesse mise en cause, déchirée, écorchée, piétinée. Et cela, malgré le fait que nous ayons sauvé l’humanité du pire crime de son histoire. Sinon, quel est l’intérêt des puissants du monde et de nos voisins à continuellement chercher à humilier un peuple, une nation qui n’a fait aucun mal à autrui, sinon que d’avoir montré le chemin du soleil et de la liberté ?

Il nous faut accepter une vérité amère : s’ils ne nous sont pas reconnaissants de les avoir affranchis de leurs propres crimes et forfaits commis pendant des siècles, c’est qu’ils ne se sont jamais repentis. Et, comme ils s’évertuent à le prouver régulièrement, ils ne sont pas nos amis. 

Ne soyons ni étonnés ni sur la défensive, lorsque nous sommes accusés d’être le quatrième « H » de la pandémie du SIDA; lorsque notre île pourrait s’effondrer sous l’œil indifférent de nos voisins ; lorsque nous sommes traités de « pays de merde » par ceux qui gèrent les fonds de la CIRH; lorsque tout cela est dit publiquement ; jusqu’a devenir des « mangeurs d’animaux domestiques », sur le sol et sous l’œil des « tueurs champion de la démocratie ».

Soyons clairs et soyons fiers : notre plus grand défaut, c’est que nous sommes Haïtiens!

Diversités culturelle et culinaire obligent, il faut reconnaître que l’animal de compagnie des uns est parfois le repas des autres, et même parfois, un mets recherché. Chiens, chats, couleuvres et rats sont servis dans de nombreux pays asiatiques. Cependant, aucun Asiatique ne voyage pour cibler les animaux de compagnie des autres dans le but d’en faire son repas, tout comme aucun Haïtien ne le ferait.

La campagne de dénigrement dont nous faisons l’objet n’a donc rien à voir avec la protection des animaux. Il s’agit simplement de désigner une cible à une partie de la société américaine, suprémaciste, raciste et arriérée. Lorsque certains pays ou courants politiques sont en crise, ils offrent toujours à leur population, un ennemi vers lequel déverser leurs frustrations et leurs haines. Les Allemands l’ont fait avec les Juifs avant la Seconde Guerre mondiale, puis avec les Turcs après le plan Marshall. La République dominicaine le fait de manière permanente et meurtrière contre les Haïtiens.

Mises à part quelques voix bien intentionnées, la défense ponctuelle des Haïtiens par l’establishment démocrate n’est qu’un jeu politique. N’oublions pas qui nous a imposé certains présidents et tant d’autres absurdités. Ils nous ont imposé Martelly, mais ne souhaitent pas avoir Trump ? À croire que ce qui “nous convient” ne leur convient pas du tout! Mieux vaut en rire, même si ce n’est pas drôle…

 Ici, il ne s’agit pas seulement de dénoncer nos détracteurs extérieurs.

Il faut reconnaître que si nous sommes devenus une proie facile, un pays mené à la destruction et suscitant de la pitié, c’est parce que toutes nos élites, sans distinction, ont abdiqué et se sont transformées en collaborateurs volontaires, serviteurs de la peste.

 Les élites économiques, pour la plupart, n’ont aucun sentiment d’appartenance à la nation haïtienne. Sanctionnées ou non, elles continuent de maintenir leur hégémonie économique sur le pays. Aucune initiative collective pour répondre aux sanctions, aucun geste de repentance envers la Nation. Elles savent qu’elles sont non seulement des alliées sûres de la ruine du pays, mais qu’il n’y a pas de meilleurs courtiers qu’elles, véritables “animaux” domestiques. Si l’accusation d’être l’élite la plus répugnante du monde n’a ni blessé leur orgueil ni empêché leur retour aux affaires sans prise de conscience, ce ne sont pas des sanctions qui les arrêteront. Ce n’est qu’une tache passagère à leur réputation, une pause temporaire qui les tient à l’écart, tout en gardant leurs mains dans la poche de l’État ou de la Banque nationale. Elles resteront à l’écart, observant la destruction continue du pays par ceux qui ont pris leur relève : les gangs qu’elles ont armés et financés, les Premiers ministres (P.M.) et certains Conseillers présidentiels (C.P.). Tous faisant partie de la même équipe dans ce jeu macabre, jouant pour le même entraîneur, avec un seul objectif : éliminer Haïti.

Nous sommes devenus l’exemple parfait du « pitimi san gadò » (le grain sans gardien).

Nos élites politiques, pour la plupart, sont des serviteurs de causes funestes, domestiqués, sans vision, sans conscience, sans foi ni loi. Beaucoup ont finalement prêté serment à l’apatridie pour le privilège de jouer les clowns dans le cirque américain. Bien sûr, il est grave et désolant de devoir collaborer à une formule de présidence à sept têtes, pratiquée dans certains pays d’Afrique post-coloniale. Ce qui est une insulte même à l’essence de ce qu’est Haïti, à ce que nous avons été, à ce que nous sommes encore, malgré nos déboires passés et présents, et malgré ce que nous sommes en train de devenir.

En politique, il est parfois possible de trouver des circonstances atténuantes pour excuser nos politiciens corrompus et nos opportunistes de circonstance, mais comment expliquer notre niveau actuel de déchéance ? Il y a treize ans, la Nation avait condamné une assemblée parlementaire pour avoir ratifié un Premier ministre qui ne remplissait aucune des conditions requises pour cette fonction. Aujourd’hui, c’est un conseil présidentiel de sept membres qui ratifie un Premier ministre dans des conditions encore pires, avec l’encadrement de la communauté internationale. Un Premier ministre qui n’a même pas eu la décence de rentrer au pays avant sa nomination. À l’époque, les parlementaires avaient été accusés d’avoir reçu de l’argent. Aujourd’hui, il semble que les conseillers présidentiels n’aient reçu qu’un coup de fil… Ainsi, entre la corruption et la servitude, nos conseillers présidentiels ont choisi l’asservissement volontaire. On peut penser que même les esclaves domestiques, par le fait de n’avoir pas choisi leur condition, pouvaient avoir une certaine autonomie de pensée.

Mais attendez, ce Premier ministre s’était opposé à Martelly, donc il doit être compétent, nous dit-on. De plus, il serait le seul sur la planète capable d’organiser des élections. Pourtant, une de ses premières grandes déclarations, après avoir déclaré qu’il n’avait pas conscience des problèmes du pays, a été qu’il ne pourrait pas organiser les élections. Voici donc un Premier ministre nommé dans des circonstances aussi douteuses que douloureuses, qui affirme ne pas pouvoir accomplir son seul mandat, mais qui reste encore en poste. Il est doublé d’une chancelière, une « one-hit wonder », dont un seul discours lui a valu tous les honneurs, jusqu’à être envisagée dans certaines sphères comme future présidente… Et si elle ramenait au pays l’original de la constitution de Dessalines après avoir pleuré dessus, même le parti «Pitit Dessalines» serait mis hors-jeu. Comme dit le proverbe, «À quelque chose malheur est bon», mais ici, le malheur semble simplement se reproduire.

Les élites intellectuelles, qui devraient être le fer de lance de tout mouvement revendicatif, à l’avant-garde de la société civile et porteuses de projets d’avenir, se sont depuis quelque temps livrées à des pratiques et initiatives transactionnelles. Soit en servant les élites économiques traditionnelles, soit en tentant de se substituer aux politiciens en tant que meilleure option. Elles se sont révélées tout aussi dangereuses et néfastes pour le pays que les politiciens traditionnels. Car elles n’ont aucun projet de société propre et sont en compétition pour servir les mêmes maîtres. Le pire, c’est que l’espoir d’une relève améliorée est loin d’être assuré, puisque certains de nos prétendus amis ont mis en place des programmes pour nous dépouiller de nos classes moyennes, en particulier celles formées.

En écoutant le discours dominant de ceux qui sont les plus vocaux, et souvent les plus naïfs, on pourrait croire, comme l’ancien ambassadeur américain Brian Dean Curran, que le salut du pays repose sur la diaspora. Pourtant, ils feignent d’oublier que des figures comme Yvon Neptune, Gérard Latortue, Michel Martelly, Laurent Lamothe et même Gary Conille, tous issus de la diaspora, ont joué des rôles pas trop brillants dans nos gouvernements successifs. Aujourd’hui, pour faire taire tous les secteurs, de la droite, du centre, du populisme décevant jusqu’à la gauche sournoise, on nous a offert une présidence multicéphale et une primature macrocéphale. Et nous sommes avertis de ne pas déstabiliser cet équilibre fragile… tandis que les gangs sont là pour en assurer la stabilité.

Qui contrôle vraiment les gangs ?

Les gangs sont un atout majeur dans la mise en œuvre de la déstabilisation du pays, ainsi que pour certains grands intérêts économiques. Trump a été mis en examen pour une manifestation qui a pénétré les enceintes du Parlement américain et causé un décès ; imaginez s’il avait financé un « pays lock » qui aurait causé la mort de policiers, de civils, et entraîné la fermeture des bureaux de l’État. En Haïti, nous savons tous qui financent ces blocages du pays. Ailleurs, menaçant certains intérêts, ces personnes seraient considérées comme des terroristes ; ici, dans des salons luxueux, on les reçoit, on les embellit et on prend de leurs nouvelles et de celles de leurs familles. Ces mêmes personnes, ainsi que les gangs, font partie du cirque. Nos hommes et femmes éduqués, faiseurs d’opinions, font semblant de l’ignorer pour ne pas déranger les patrons ni l’ordre des choses. Mais il n’y a rien qui se passe en Haïti que les plus informés n’ont pas déjà observé au Congo, au Mali, au Soudan ou dans certains pays arabes. Semer le chaos, évacuer la population d’une zone pour mieux la contrôler et exploiter ses ressources naturelles n’a rien de nouveau. À Gaza ou à Port-au-Prince, les raisons et les maîtres des cruautés sont les mêmes. Lorsqu’on ne peut pas accuser le pays de posséder des armes de destruction massive ou de soutenir le terrorisme, on fait appel aux gangs. Comme il n’y a pas de grands conflits religieux sur notre territoire, les ISIS, Hezbollah, Hamas n’y sont pas justifiables ; alors on fait appel à des saveurs locales : Barbecue, Ti Lapli et Izo.

Blague à part, Haïti est vraiment un cas spécial. Ben Laden, Saddam Hussein, Kadhafi, Noriega… des promenades-santé. Mais, en comparaison, Vitelome, Lanmò San Jou ? Ces gars sont tellement « intelligents et puissants » qu’on ne peut rien y faire. Il y a même un mandat de recherche et une prime pour la tête de Vitelome, mais il reste introuvable, sauf pour CNN, qui a même filmé la route déserte menant à sa résidence, sans chiens ni chats. Un vrai cirque. 

Nos médias, pour la plupart, sont devenus achetables et vendables. Certains journalistes sont devenus des politiciens à micro, des hommes d’affaires de l’information. Et ceux qui détiennent les fonds publics sont à l’abri de toute critique. Voilà pourquoi, après ce qui paraissait être une tentative de braquage ratée contre la BRH par des mercenaires, les mercenaires sont repartis sous la protection d’une ambassade et du ministre de la Justice, sans bruit ni compte à rendre. Moins de trois ans plus tard, la banque a quand même été piratée, mais il n’y a eu aucun grand titre dans les médias, ni scandale, ni sanction interne, ni investigation de la DCPJ ou de l’UCREF de ce qui  pourrait être un inside job. Au contraire, il n’y a eu que des promotions. Le gouverneur en poste lors des deux incidents est parti en affirmant avoir « la satisfaction du travail bien fait ». Pour qui travaillait-il ? Et pour qui travaillent les grands médias ?

Les médias, en plus de leur rôle d’informer, ne devraient-ils pas être la voix critique de la nation ?

Que faire dans une telle situation ? Quelles sont nos options ? Il faut d’abord reconnaître que ceux qui ont contribué à notre déchéance actuelle, ainsi que leurs complices, ne sauraient proposer de solutions salvatrices pour nous aider à nous en sortir de manière honorable. Lesly Manigat avait affirmé que d’autres pays, comme le nôtre, sont dominés, sous influence, et doivent négocier. Pourquoi sommes-nous parmi les seuls à être dans un tel état ? Il suggérait qu’il y avait dans la société une, haine de l’intelligence de la réussite et de la compétence. Mais il avait aussi probablement compris que ce n’était pas seulement parce que l’international préférait traiter avec les opportunistes sans conviction et les médiocres qu’ils nomment eux-mêmes, mais aussi parce que ces derniers, même ceux jouissant d’une certaine popularité ou d’une réputation de gauche, choisissaient souvent des individus minables pour les seconder. Rappelons-nous simplement qui étaient les seconds d’Aristide, de Victor Benoit, de Gérard Pierre-Charles, d’Evans Paul et de Serge Gilles. Des hommes à qui vous n’auriez même pas confié la petite boutique de votre grand-mère. Et pourtant, la plupart d’entre eux sont devenus ministres, Premiers ministres, sénateurs et présidents.

Une récente conversation avec un jeune Haïtien, pour qui “Biden était tombé”, m’a rappelé un épisode vécu lors de mon séjour en Afrique du Sud pendant la lutte contre l’apartheid. Les militants de l’ANC, du Parti communiste sud-africain et de l’Azapo m’avaient fait remarquer qu’ils ne pouvaient pas de confronter l’international. Pour mettre fin à l’apartheid, il fallait également affronter et gérer les collaborateurs de tous bords, y compris les gangs, certains intellectuels et les politiciens. 

Ce jeune Haïtien que j’essayais de convaincre qu’il y avait encore de l’espoir pour Haïti et que l’abandon n’était pas l’unique solution, m’a répondu : « Oui, mais pour moi, il ne reste qu’une seule alternative à laquelle je ne suis pas prêt. » Après 30 minutes d’insistance, il a finalement lâché le morceau :

«Mon cher ami, j’ai toujours pensé qu’Haïti avait une chance de réussir, si l’on se décidait à éliminer certaines personnes de certains secteurs de la société. Mais, j’ai toujours pensé que ceux qu’il fallait éliminer étaient pour moi des inconnus, des membres des élites dont je connaissais à peine le nom, des riches qui pillent les ressources de l’État, quelques hommes d’affaires inconscients qui contrôlent les douanes et certains ministères.»

Je lui ai répondu qu’il y avait bien des Haïtiens honnêtes qui partageaient ce point de vue. Il a continué : « Oui, mais pour moi, c’est terminé. Je viens de réaliser que nombre de ceux qui devraient être éliminés ont été au Parlement, sont des hauts fonctionnaires de l’État. Et certains d’entre eux se trouvent même au Conseil présidentiel, où j’ai des amis personnels. Quand on vit dans un pays où l’on pense que certains de ses propres amis doivent périr, mieux vaut partir. C’est peut-être de la lâcheté, mais je préfère être accusé d’avoir mangé les animaux domestiques d’autrui, que d’avoir à éliminer moi-même « nos animaux domestiques »

En guise de conclusion :

Haïti reste un phare et la référence pour la fierté de l’humanité, tout au moins, notre partie de l’humanité. Nous avons encore parmi nous, en Haïti et ailleurs, toutes les compétences pour reconstruire cette nation qu’on nous a léguée au prix d’historiques sacrifices.  L’alternative est de nous résigner à la perdre. 

 Nous sommes devenus un pays dominé et occupé à «l’amiable». Nous sommes devenus si impuissants que nous n’avons que des «pays amis». Tout le monde veut « aider » Haïti, et tout le monde échoue.

 Notre souveraineté a été ravie sans un coup de feu visiblement venu de l’extérieur, et nous sommes dans le déni, exigeant que ceux qui ont été triés sur le volet et placés au pouvoir pour nous diriger et ruiner, respectent la Constitution.

Nous sommes prêts à croire et à propager les théories, mensonges et formules qui nous affaiblissent en tant que nation, comme : l’esclavage est dû aux Noirs qui auraient vendu d’autres Noirs, les européens ont découvert Haïti, la République Dominicaine est l’autre aile d’un même oiseau, les gangs ont chassé Ariel Henry du pays, ou la déchéance d’Haïti est causée avant tout par les Haïtiens qui s’entredéchirent.

Nous devons reprendre nos forces, nous rappeler qui nous sommes et qu’il n’y a pas de réussite sans sacrifices, pas de pays sans des hommes et des femmes de caractère pour le construire.

Commençons par rejeter la culture de l’aveuglement volontaire et celle du mensonge, telles que le «transgenrisme politique», incarné par une mission américaine qui s’identifie au Kenya.

À ce jeune Haïtien, je dis : ne t’inquiètes pas du sort de tes amis. C’est Haïti qui ne doit pas périr!

Garaudy Laguerre.


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