A Haïti, « le projet est de rattacher le culturel au social »

A Haïti, « le projet est de rattacher le culturel au social »
Photo : lenouvelliste.com

Interview : Lyonel Trouillot, écrivain, codirecteur d’Etonnants Voyageurs, revient sur les motivations du festival deux ans après le séisme.

Le festival littéraire Etonnants voyageurs a tenu sa deuxième édition en Haïti du 31 janvier au 4 février. Deux ans auparavant, il avait été annulé après le séisme qui a ravagé le pays, le 12 janvier 2010. Entretien avec Lyonel Trouillot, écrivain, codirecteur du festival, dont le dernier livre, la Belle Amou, est paru chez Actes Sud.

Que représente le retour d’Etonnants voyageurs à Haïti deux ans après le séisme ?

C’est la vie qui continue. Pour moi, le pire qui soit arrivé à Haïti n’est pas le séisme. C’est un phénomène naturel avec des conséquences terribles pour les humains, dans des villes mal construites, mal pensées. Le pire a été la gestion de l’après-séisme. Nous sommes dans le pire. Parce que, dans ce merdier politique et social de ce pays sous occupation, dans ce pays pratiquement sans politiques publiques, livré aux ONG, on ne peut pas dire que l’institutionnel produise du sens. Par rapport à ça, la tenue de ce festival est important. La réaction du public, pas toujours habitué à la littérature en général, est précisément cette quête de sens par rapport au réel.

Cette quête de sens passe donc par la culture ?

Cela passe par la culture si elle nous mène vers le peuple. Il faut que le débat culturel renoue lui-même avec la dimension sociale et pose des questions de vie, de survie et d’organisation sociale. Les questions posées par le public vont dans cette direction. Ce qui l’intéresse c’est : ce que vous voulez nous dire participe de quoi ? Cela propose quoi dans nos vies, quelles transformations ? Pour les membres du festival qui sont en Haïti, le projet est de rattacher le culturel au social.

Quel est ce projet sur place ?

Aller parler avec les jeunes, dans les centres culturels, les lycées, les collèges, systématiquement. C’est de renouer aussi avec les bonnes vieilles habitudes qu’on avait prises au temps des dictatures, des habitudes de regroupement pour que ce ne soit pas la parole de l’individu. C’est la nécessité de regrouper nos énergies. L’écrivain et bibliothécaire Auguste Bonel organise chaque semaine un atelier de poésie, «Dimanche en poésie», auquel participent deux cents personnes. Il y a vraiment cette disponibilité vers un activisme culturel orienté socialement. Débordons le cadre étroit de l’œuvre.

Où en est votre centre culturel ?

Le centre culturel Anne-Marie Morisset, une fondation créée par ses héritiers dont je suis, a été décidé au lendemain du séisme. C’est un bel espace situé dans le quartier Delmas, qui fonctionne avec nos fonds, des subventions d’institutions haïtiennes et de la Fondation de France qui a appuyé notre projet sans dire : «On va sauver Haïti.» C’est pour moi le sens même d’une coopération, réalisée à égalité. Le centre propose une bibliothèque, des cours d’arts martiaux, un programme d’appui à la formation scolaire, des cycles de conférences. On ne part pas d’une idée de la culture en l’air. On identifie la population pour être au service de ses besoins. Nous avons par exemple créé un service d’écrivain public dans un pays où le taux d’analphabétisme est énorme, de 50%. Ce qui nous intéresse aussi dans ce pays de quasi-ségrégation, c’est que le centre draine toutes les origines sociales.

L’écrivain est-il poussé à écrire sur le séisme ?

Le séisme est devenu un commerce pour certains écrivains haïtiens. Cette question des journalistes est souvent revenue : à quand le livre sur le séisme ? Je n’ai rien lu aujourd’hui qui soit à la hauteur de mon ressenti. Si la littérature est en deçà du réel, si elle est incapable de tirer de la réalité quelque chose d’aussi insoutenable, à quoi sert-elle ? Je pense qu’on a gaspillé beaucoup de papier autour du séisme dans le sens de la production de sens. On ne peut pas témoigner en tant qu’écrivain mais en tant que personne blessée.

Source : liberation.fr


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La Rédaction

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