Une journée tranquille en Haïti

Une journée tranquille en Haïti

Si le souvenir du tremblement de terre de 2010 est impossible à effacer, l’ordinaire de l’existence a repris ses droits, pour le bonheur des Haïtiens passionnés de rencontres, comme ce jour-là à Jacmel.

Il fait un soleil de printemps, ce matin de février, à la sortie de Port-au-Prince, où la circulation se densifie peu à peu. Il faudra deux heures aux voitures qui doivent mener leurs occupants à Jacmel pour émerger de la ville déjà bouillonnante. La foule bigarrée s’égaille en tous sens autour des échoppes, garages improvisés et autres marchands de beignets. Le temps d’acheter de l’eau minérale pour le voyage et d’échanger trois mots avec un piéton en train d’arroser les plumes de son coq pour le laver et le rafraîchir – sa seule richesse, sans doute – et les deux 4×4 sont repartis.

Cette fois, ça y est, le flot des petites autos japonaises, tapageuses motocyclettes, tap-tap aux ferventes inscriptions telles que « Jésus parmi nous », « Notre Dame du Saint Secours » ou « Thank you Lord » est dépassé. Les véhicules progressent maintenant à vive allure. Bientôt ils attaqueront la montagne. Car, pour relier Jacmel, il faut traverser la chaîne de la Selle, principal obstacle du sud de la République d’Haïti.

Cité musicale aux lèvres tropicales

Que ce soit en grimpant vers le col ou en descendant ensuite vers la mer, la route est bordée, ici et là, de petits chalets en contre-plaqué, souvent construits à côté de ruines en parpaing. Un programme de constructions légères qui a permis à des familles d’être relogées après le séisme. Tandis qu’à Port-au-Prince le tremblement de terre a laissé des tas de gravats et nombre de familles toujours à l’abri de toiles de fortune, ici, c’est la nature qui a souffert, pas seulement les habitants : des failles dans la roche, toutes fraîches encore, laissent deviner avec quelle violence fut secouée la terre, le 12 janvier 2010.

Voici enfin Jacmel, « ma cité musicale aux lèvres tropicales », dit d’elle le poète et romancier Jean Métellus. Ce port méridional qui compte 170 000 habitants a lui aussi payé cher le séisme, avec la destruction de plus de la moitié de la ville. « Mais le “Père éternel” est resté debout ! », assure Brunette Laurent, qui travaillait il y a quelques années dans un des appartements de cet immeuble au nom protecteur, planté au milieu du centre-ville.

Brunette, mère de famille, a surtout eu très peur pour ses deux enfants qui poursuivaient leurs études à Port-au-Prince, restant plusieurs jours sans nouvelle d’eux, comme ce fut le cas pour tous les Haïtiens, coupés de tout pendant un temps. Aujourd’hui, Brunette rayonne. Elle s’est maquillée et porte son plus beau collier pour assister à la rencontre qui doit avoir lieu dans des locaux rénovés de l’Alliance française entre les lycéens de Jacmel et deux écrivains participant au festival Étonnants Voyageurs , l’Haïtien Dominique Batraville et le Français Régis Debray.

« Votre culture est née de l’oralité. »

Les deux hommes ne se ressemblent en rien. L’un, volcanique, définit sa quête plurielle d’« archipeliptique » (poète de l’archipel), on reconnaît partout à l’autre sa rigueur intellectuelle. Tous deux se complètent bien pour transmettre aux élèves ce qu’ils considèrent comme un cadeau pour les peuples des deux pays, Haïti et la France : « Nous sommes liés par la langue, par l’Histoire et par la littérature », leur rappelle Régis Debray. Il poursuit : « Votre culture est née de l’oralité. Vous nous redonnez le sens de l’énergie primitive. » Dominique Batraville, qui a sillonné mille fois son propre pays, l’assure : « Les Jacméliens ont le don de l’accueil. » Telle est la réputation de cette ville, même si, peu avant la chute du président Aristide en 2004, on lisait sur les murs, à l’intention de la poignée de Français en résidence à Jacmel : « Go home ! »

Aujourd’hui, les tensions sont oubliées. Le Français Gérard Borne, directeur du centre Alcibiade-Pommayrac de Jacmel, groupe scolaire réputé d’Haïti qui accueille aussi ce jour-là les deux personnalités littéraires dans ses classes de terminale, a traversé quantité d’épreuves. Les injonctions n’ont jamais eu de prise sur lui. Il fait du bon travail, « et les Haïtiens le savent », reconnaît-il simplement.

Un grondement sourd montant de l’océan

La rencontre préparée par les filles et les garçons d’Alcibiade ne laisse pas d’esquive possible. Face aux questions pertinentes des uns et des autres, Dominique Batraville, très à l’aise, livre quelques confidences : « Je suis un écrivain maudit, j’ai fréquenté les filles de joie de Port-au-Prince, je suis sous traitement psychothérapique. Bref, je ne suis pas un poète tranquille ! Mais je voudrais vous dire : il vaut toujours mieux se construire dans la vie. » Régis Debray, lui, sera questionné sur l’utilité de la religion, réalité multiple et très présente chez les Haïtiens. Les philosophes jacméliens en herbe méditeront longtemps sa réponse : « La religion, faisant partie de la personnalité mentale d’un peuple, est fondamentale. Elle est le socle d’une culture, d’une communauté humaine, tremplin pour agir et muraille pour se défendre. »

De l’endroit où se déroule l’échange, une classe dont un côté sans mur ni fenêtre donne sur un jardin tropical, on aperçoit la mer bleu turquoise. L’après-midi, Gérard Borne a souhaité emmener ses invités sur la plage de Kabik, légendaire pour sa tranquillité. L’eau est à 27 degrés, le paysage, de carte postale, le temps, divin. Pourtant, le directeur d’Alcibiade s’en souvient, il se trouvait juste là, le 12 janvier 2010, à 16 h 53 : « J’ai entendu un grondement sourd montant de l’océan qui s’est répercuté très fort vers la montagne. Puis la mer s’est éloignée soudain. Le sable était d’une couleur indéfinissable. Je me suis allongé sur le sol qui a d’abord bougé fortement à l’horizontale, puis à la verticale. J’avais l’impression que la terre voulait m’engloutir. »

Puis sa première pensée fut pour l’école. Il l’a retrouvée peu après en piteux état. Miracle : aucun élève ni aucun membre du personnel ne fut directement victime. Mais la mort a touché plusieurs familles d’enfants scolarisés ici.

LOUIS de COURCY (à Jacmel)

Source : la-croix.com


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