Les gangs, la crise politique et l’inflation mondiale poussent l’économie haïtienne au bord de l’implosion

Les gangs, la crise politique et l’inflation mondiale poussent l’économie haïtienne au bord de l’implosion

Entraînée par la criminalité des gangs et les subventions d’un gouvernement en manque de légitimité, l’économie haïtienne est désormais sur le point d’imploser en raison des effets de la guerre en Ukraine.

La hausse mondiale des prix du carburant arrive au pire moment pour les autorités haïtiennes : la hausse des tarifs des stations-service qu’elle a ordonnée en décembre n’a pas encore été digérée par la population.

En Haïti, ce marché stratégique est réglementé par l’État. Pour acheter la paix sociale, les gouvernements successifs évitent généralement de toucher à ce dossier sensible.

Mais depuis six mois, les litres d’essence et de diesel coûtent respectivement 56 centimes et 78 centimes d’euros au consommateur.

Subvention insoutenable

Et la charge de rembourser la différence aux compagnies pétrolières qui importent et vendent en Haïti est devenue trop lourde pour les autorités avec la flambée des prix provoquée par le conflit en Ukraine.

“Cette année, les subventions aux carburants ont augmenté de plus de 200%”, ce qui s’élève à “environ 18.000 millions de gourdes”, soit environ 153 millions d’euros, précise l’économiste Kesner Pharel.

Ce montant, qui représente le double des fonds alloués au Ministère de la Santé, ne résout rien en termes de misère pour les 60% d’Haïtiens qui vivent sous le seuil de pauvreté.

« Ça n’aide pas dans le plan social parce que c’est une subvention générale : ça ne cible pas les personnes les plus défavorisées », analyse Pharel.

“En décembre, un mécanisme a été évoqué pour soutenir le (…) secteur des transports publics mais, jusqu’à présent, cela n’a pas été fait en raison d’un manque d’efficacité de l’Etat”, déplore-t-il.

Et comme le pays insulaire importe cinq fois plus de nourriture qu’il n’en exporte, la hausse des frais de transport exacerbe l’inflation, qui dépassait déjà les 25 % en début d’année.

“Nous allons souffrir de l’inflation importée car nos principaux partenaires commerciaux, les Etats-Unis et la République dominicaine, ont désormais aussi une forte inflation : nous pourrions atteindre 30% cette année”, prévient Pharel.

Le spectre des émeutes de la faim de 2008 plane sur Haïti alors que les prix du blé augmentent également en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, deux des principaux producteurs mondiaux de blé.

Farine 30% plus chère

« Cela commence à affecter l’ensemble de la production de biens industriels dérivés du blé en Haïti, comme la farine ou les pâtes alimentaires, qui ont déjà connu, depuis la guerre, une augmentation de plus de 30 % » , souligne l’économiste Etzer Emile, qui rappelle qu’Haïti importe deux fois plus de riz, de blé et de maïs qu’il n’en produit localement.

Alors que les ménages haïtiens consacrent 60% de leurs revenus à l’alimentation, selon l’Institut national de la statistique, l’insécurité alimentaire touchait déjà 4,5 millions d’habitants du pays, avant le début de la guerre en Europe.

“Ce matin au petit-déjeuner, les enfants ont demandé du pain, mais nous n’avons pas pu l’acheter : bien qu’ils n’aiment pas beaucoup cela, nous l’avons remplacé par des biscuits au manioc”, raconte Michèle, qui vit à Port-au-Prince avec sa mère, sa sœur et ses trois neveux.

“On ne peut plus acheter autant de riz qu’avant. En fait, maintenant on n’en a plus et on réfléchit à l’opportunité d’en racheter ou pas “, avoue la jeune femme.

Ces défis économiques surviennent alors que les gangs, qui ont gagné du terrain, extorquent de l’argent à la population par des enlèvements quotidiens, effectués principalement dans la capitale.

Par l’extorsion de l’industrie, les gangs sont devenus un obstacle de plus au réveil de l’économie haïtienne, en récession depuis 2019 et qui pourrait croître de seulement 0,3 % cette année, selon les prévisions optimistes du gouvernement. “De plus en plus d’entreprises dans des zones difficiles, avec une grande violence, ferment leurs magasins et laissent de plus en plus de chômeurs”, note Etzer Emile.

Cet effondrement économique d’Haïti profite largement au pays voisin.

« Des dizaines et des dizaines d’hommes d’affaires haïtiens ont migré vers la République dominicaine et ici, en Haïti, ils ne font que maintenir à flot leurs entreprises », constate tristement Grégory Brandt, président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-haïtienne.

« Au cours de l’année fiscale 2021-2022, les haïtiens ont investi 250 millions de dollars en République dominicaine », déplore l’homme d’affaires. | SOURCE : Listindiario


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