Edito – Pourquoi le mot « Servante » est-il péjoratif et perdure sur le territoire national ?


A Laurencia Dostaly – Dans l’antiquité, les servantes étaient souvent considérées comme étant des dames de compagnie et étaient traitées avec égard. Souvent, elles étaient nombreuses au service d’un prince, d’une princesse ou d’une reine. Elles prenaient quelques fois leur diner à table en compagnie de leur maîtresse ou maître. Elles portaient des tenues du même style que leur maîtresse et l’accompagnaient partout où elle va et devraient être tirées à quatre épingles tout comme elle, et elles partageaient avec elle même ses secrets les plus intimes.

Le temps avait tari cette tendance, cette bonne mœurs pour passer à la femme de chambre, ménagère, soubrette, chaperon… et là encore, elles étaient toujours traitées avec respect et pourtant elles sont considérées comme des bonnes à tout faire, des « Restavèk », des « Rèskiyè », des moins que rien, des va-nu-pieds et que sais-je encore ; alors que souvent en Haïti, autrefois fois surtout, ces bonnes à tout faire étaient beaucoup plus humble, que leur maitresse et ou leur maitre qui les traite de « Charognards ».

L’ignorance de ceux qui se disent ou se croient au-dessus de ces gens est immuable et ne tend pas changer en dépit de certaines évolutions modernes dans le domaine. A force de se montrer supérieur, la méchanceté gagne leur cœur et les rend aveugle jusqu’à les déshumaniser alors que l’humble serviteur reste et demeure encore attaché à eux.

Leur cœur est souvent plus humain, plus aimant, plus fiable, plus compréhensif, plus affectueux que celui de leur chef. C’est le cas par exemple de Laurencia Dostaly, morte récemment, de qui je vais vous conter brièvement l’histoire à travers une oraison funèbre.




Oraison funèbre de Laurencia Dostaly, née le 6 juin 1926 dont les funérailles ont été chantées à l’église Saint-Anne de Port-au-Prince le samedi 5 janvier 2013.

C’est avec respect et un profond regret que je me courbe pour saluer les restes de Laurencia Dostaly ici installée aujourd’hui. Une grande dame qui est partie en ignorant sa grandeur d’âme, en s’ignorant tout court. On est peut-être étonné de m’entendre dire de Laurencia surnommée « Lau » qu’elle était une grande dame, ce simple personnage qui ne sait ni lire, ni écrire, qui n’a jamais rien eu de la vie tout superficiel que se veut le monde d’aujourd’hui. Cependant elle restera et demeurera au delà de la vie, un ange au cœur pur. Même ses vieux jours n’ont pas trahi sa sérénité et sa gentillesse.

De tout temps, les esprits primaires croient que pour être une grande dame, il faudrait être l’épouse d’un roi, d’un prince ou d’un président. Pour Laurencia, elle n’était rien de tout cela, elle n’était l’épouse de personne et si elle est morte aujourd’hui de la façon la plus odieuse qui soit sans avoir eu d’enfant, c’est qu’elle l’avait décidé ainsi afin de mieux porter sur son dos une famille qu’elle a servie au moins durant trois générations, j’aurais pu dire quatre. Cependant, la dernière génération l’ignorait et l’humiliait ostensiblement. Et c’est cette déception aussi qui l’a conduite vers la folie pour finalement trouver une mort violente et prématurée.

Pour moi, pour mes enfants et pour bien d’autres, Laurencia a été et restera une grande dame, un modèle de sacrifice et de sacrifié qui a aucun moment n’a su se révolter vu le respect et l’admiration qu’elle vouait à cette famille trop longtemps la sienne peut  être. Au delà de sa folie, elle était restée  une dame au grand cœur avec un profond respect pour tout le monde, car aucun vilain mot n’eut franchi sa bouche, aucun acte de violence n’aie pu être enregistré dans es actions. Jusqu’à sa mort, son visage, ses expression n’accusaient aucun remord, aucun regret, aucun haine, elle était restée fidèle à elle-même et à tous les autres.

Sans enfant biologique, elle a su accompagner pas mal de gens à jusqu’à leur pousser à terminer leurs études et devenir des professionnels. Laurencia avait un cœur léger, tendre, affectueux, compréhensif et elle ignorait presque totalement le mal, elle était quelque fois très humoristique même dans sa folie.

L’ignorance, la passivité avec les autres, la pureté de l’âme, l’amour qu’elle a su faire montre durant toute sa vie se lisaient encore sur son visage serein et confiant, la veille de sa disparition inattendue.

Et pour finir, je conclus que Laurencia est actuellement un ange qui a trouvé sa place aux côtés de Dieu. Et tant pis pour ceux qui l’ont fait souffrir, ils souffriront eux dans leur chair, dans leur sang, dans leur esprit aussi longtemps qu’ils vivront, car « On récolte toujours ce qu’on sème », a dit l’autre.

Lau, tu es partie en martyr avec toutes les bontés que ton être exprimait, je ne veux pas te dire cette phrase classique et traditionnelle « Que ton âme repose en paix », tu mérites mieux. Je sais que tu es partie vers Dieu en paix avec toi-même comme tu l’as toujours été et le Dieu suprême te récompensera pour tout. Je sais que telle que  tu es, tu ne me demanderas même pas à Dieu de te faire justice parce que tu es partie ignorant même le pourquoi de ta mort subite, mais le Dieu des cieux, dans son infinie bonté te fera certainement justice.

Tu n’as pas laissé après toi des descendants, peut-être resteras-tu dans la mémoire de plus d’un ? cependant ton passage sur terre ne sera pas à vide, car tu resteras à jamais sous ma plume pour avoir été un modèle de bonté, de sobriété, de tendresse, de simplicité, peut-être une dernière du genre dans cette génération, sortie tout droite de la couche dit-on, la plus défavorisée de notre société si, bien entendu, aujourd’hui, la couche la plus défavorisée, la couche la plus minable, la plus misérable, la plus mesquine, la plus pauvre d’esprit, la plus pitoyable, la plus méprisable ne part pas d’en haut.

Vivianne Gauthier

Styliste / Ecrivaine


La Rédaction

La Rédaction Contact : actualites@haitinews2000.com
Enable Notifications OK No thanks